Point de droit 7 - Table adultère

 

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Table adultère

ou

L’art des mets et l’art d’aimer

 

 

 

« Si Thierry E... est effectivement devenu un ami de la famille…, divers témoignages concordants n'en sont pas moins évocateurs d'une liaison d'une tout autre nature entre lui-même et l'épouse, peut-être au demeurant avec l'approbation tacite du mari qui a pu trouver là une justification ou un accommodement à ses propres dérives sentimentales …, l'épouse a noué une relation amoureuse avec un nommé Thierry E... qu'elle a connu à une époque où elle était infirmière…, qu'elle a été vue en 1988 en train de dîner seule avec lui dans un restaurant… ».

 

Cet extrait des motifs d’un arrêt de la Cour d'appel d'Orléans du 29 avril 2008 qui, finalement, prononce un divorce faute aux torts partagés pose une question : lorsqu’un conjoint dîne « en célibataire » avec une personne de l’autre sexe, le juge du divorce va-t-il y voir les remous en surface d'un adultère soupçonné ?

 

Manger est une activité à risque. La cuisine, comme l'amour, ne se fait bien qu'à deux : l’un donne - fait les petits plats, l’autre - aux petits oignons - prend et l'on peut recommencer souvent. Pourtant, certains préfèrent les plaisirs solitaires, tel cet employé d’une conserverie alimentaire licencié pour « dix minutes de masturbation dans les toilettes » - faute relative à l’hygiène et à l’accomplissement de sa tâche (Prud’hommes d’Autun 24 mars 1992, inédit).

 

L'obligation de fidélité trace une limite au comportement de chaque époux dans ses relations avec autrui. Une attitude équivoque du conjoint peut constituer le corps du délit d'amour. Dans une affaire de divorce, il est reproché à l’épouse d’avoir placé à côté d’elle, lors d’un dîner, un homme qui paraissait être le maître de maison (Cass. crim. 13 nov. 1991). Il en allait déjà ainsi dans la loi de Manou, vieille de 3 400 ans et de la jurisprudence d'alors qui  réglait la matérialité de la faute en réputant « adultère toute femme restée seule en compagnie d'un homme le temps de cuire un œuf » (le texte ne précise cependant pas si l'oeuf devait être cuit dur ou à la coque...!). La cuisine aussi rapproche les gens. La jurisprudence donne cet exemple d’une réconciliation conjugale, fin de non recevoir au prononcé du divorce, « imposée » par la gestion d’un restaurant commun (Cass. civ. 2, 24 oct. 1990).

 

Lieu d’apaisement, le restaurant est aussi espace conflictuel. Dans un arrêt ancien (Paris 12 août 1895), un mari reçoit de son épouse un « soufflet » qu’il n’a pas commandé. Plus récemment, au cours d’un dîner dansant, la femme se voit reprocher un comportement humiliant pour son mari, en serrant d’un peu trop près ses partenaires et en les caressant (Cass. crim. 20 févr. 1995). Ailleurs, un témoins favorable au mari candidat au divorce, atteste qu’en public, l’épouse n'avait pas toujours une attitude très correcte, titubant ou tenant des propos incohérents lors de repas ou réceptions (Cour d’appel de Paris, arrêt du 2 octobre 2008).

 

 

La gastronomie nous fait partager ce que nous aimons avec l'être que nous chérissons. Un souper fin est une très bonne amorce pour une nuit d'amour. Le conjoint qui n'est pas de la fête ne s'y trompe pas lorsque sa moitié dîne « en célibataire » avec une personne de l’autre sexe. L’exclu y voit les remous en surface d'un adultère soupçonné. Le restaurant est l’antichambre de l’amour. Les tribunaux s'intéressent toujours de près à ces « petites soirées », à ces « menus plaisirs », surtout quand l'invitée est la « fatale secrétaire » (Cass. civ. 2, 5 janv. 1977). Ces parties de table réitérées laissent supposer des actes beaucoup plus charnel justifiant le prononcé du divorce comme en attestent plusieurs décisions de justices (Cass. civ. 2, 7 mars 1962) : « Dame Y. a entrevu son mari et la dame V. dîner ensemble au relais de la Magdeleine » (Cass. civ. 2, 12 juill. 1989) ; « Le mari se rend les dimanches à l’Auberge du Pont du Coudray pour y retrouver Josiane L. qu’il invite à dîner » (Cass. civ. 2, 18 mars 1992) ; « l’épouse fréquente de manière très affectueuse des amis et les repas au restaurant se font sans le mari » (Cass. civ. 2, 8 févr. 1984).Toutefois, corrigent les juges de Paris (2 mars 1984), toute idée d'adultère disparaît quand la femme s'attable une seule fois dans un restaurant avec un homme. Quelle indulgence ! C'est le bon sens...mais, quand on a mangé salé, on ne peut plus manger sans sel. Tel est bien le message de l’arrêt de la Cour d'appel d'Orléans du 29 avril 2008.

 

Pour en savoir plus : Le sexe et la table, dans « Droit et Gastronomie : aspect juridique de l’alimentation et des produits gourmands », Editions L.G.D.J.-Gualino

 

 

Jean-Paul Branlard

Intronisé dans la Confrérie des Compagnons du Clos de Bréon (Coubron 93470)

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