Point de droit 6 - Vin désalcoolisé

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Point de droit alimentaire 6

 

 

Le vin peut-il être sans alcool ?

 

Une consternation pour la vigne et le Prince sarment

 

Bonaparte, le « père » du Code civil, fût, sa vie durant, fidèle au Chambertin. Cependant, le Code Napoléon n’a pas la clef de la définition générale du vin. Celle-ci s’accroche aujourd’hui au Droit communautaire. Le vin est probablement le produit agricole le plus anciennement et le plus complètement réglementé : dans le temps d’abord, sa définition légale remonte en France au 14 août 1889 (loi Griffe, du nom du sénateur l’ayant proposée) ; dans l’espace ensuite, dès lors que la réglementation accompagne le vin tout au long de sa vie, de la plantation de la vigne à l’étiquetage de la bouteille et jusqu’à la consommation d’un verre de vin.

 

Au plan communautaire, l’organisation commune du marché vitivinicole (OCMV) dont l’établissement graduel a commencé en 1962 a donné lieu à une réglementation parmi les plus complexes et les plus développées de la politique agricole commune (PAC). Actuellement la définition du vin en général se trouve dans le règlement (CE) n° 1493/1999 du Conseil du 19 mai 1999 portant organisation commune du marché vitivinicole ; auquel s’ajoute, notamment, le règlement CE no 1622-2000 de la Commission du 24 juillet 2000 fixant certaines modalités d'application du règlement nº 1493/1999 et instituant un Code communautaire des pratiques et traitements œnologiques. Le vin y est défini comme le « produit obtenu exclusivement par la fermentation alcoolique, totale ou partielle, de raisins frais, foulés ou non, ou de moûts de raisins ».

 

La définition communautaire ne concerne que le mode d’obtention du vin en général. Par « Vins » (en général), on entend les « Vins de raisins frais » (no 22-05 du Tarif Douanier Commun) qui comprennent les vins de table, les vins de qualité produits dans des régions déterminées (VQPRD), les vins mousseux, gazéifiés ou non, les vins de liqueur et les vins pétillants, gazéifiés ou non. Les paramètres comme le titre alcoométrique, l’acidité, les pratiques œnologiques autorisées, etc., sont définis au niveau des différentes catégories de vin. Chimiquement parlant, le vin est un jus de raisin fermenté renfermant, notamment, des substances volatiles (de 97,5 à 98%) dont, entre autres de 9 à 15% d’éthanol (alcool éthylique) issu de la fermentation du sucre de raisin. La proportion d’alcool varie suivant les différents crus. L’ex-Tokay d Alsace (le cépage pinot gris) en contient ordinairement 9%, les vins de Beaune, de Frontignan, de Volnay en présentent de 11 à 12%, le champagne 12%, etc.

Juridiquement, d’après la réglementation communautaire un vin doit posséder un minimum de 8,5° et un maximum de 15° vol.

 

Parmi les indications obligatoires dues aux consommateurs, figure, dans l’annexe VII-point A du règlement n° 1493/99 qui en donne la liste exhaustive, le titre alcoométrique. Cette mention est faite « par unités ou demi-unités de pourcentage de volume ». Le chiffre correspondant au titre alcoométrique est suivi du symbole « % vol. » et peut-être précédé des termes « titre alcoométrique acquis » ou « alcool acquis » ou de l’abréviation « alc ».Une tolérance est prévue de 0,5 % (règlement n° 753/02, art. 3-2). Ce titre alcoométrique volumique doit être indiqué sur l’étiquetage avec des caractères respectant certaines conditions de taille (cf. art. 3-2 dernier al.). La mention du degré alcoolique sur tous les vins n’est pas en soit un critère de qualité. Exprimé sous la forme 11 % vol ou 13% vol, etc., il s’agit du nombre de volumes d’alcool pur à une température de 20° C contenus dans 100 volumes de vin. Question : le vin peut-il être sans alcool ?

 

Si pour la Cour de justice des Communautés européennes (siégeant à Luxembourg), le vin doit présenter un degré alcoolique minimal (arrêt du 25 juin 1991, aff. C. 75/90, posant le principe que s’il y a fermentation, il y a alcool), la Cour de cassation française (arrêt 1993) dit qu’il n’y a ni tromperie, ni publicité mensongère (aujourd’hui remplacées par les Pratiques commerciales trompeuses : art. L. 121-1 s. du Code de la consommation, mouture loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008), lorsque l’étiquetage indique clairement « 0% vin sans alcool » ; l’information alliant deux expressions contradictoires, l’une retire à l’autre ses qualités substantielles. Toutefois, les législations spécifiques à tel ou tel cru s’opposent à ce que, par exemple, un « vin de bourgogne » s’affiche boisson désalcoolisée. Il ne pourrait donc s’agir que d’un vin de table.

 

Quoique l’on en dise ou pense, à l’heure où la lutte contre l’alcoolémie se durcit, que la santé publique est plus que jamais un enjeu de société, le vin désalcoolisé ouvre de nouvelles perspectives à ceux qui souhaitent concilier le plaisir de boire et un nouvel art de vivre libérés des risques de l’alcool. Les fabricants avancent que ces breuvages titrant 0.3° d’alcool, soit 40 fois moins que dans un verre de vin à 12°, avec trois fois moins de calories, conservent toutes les propriétés du vin. Un « vin » à 0° peut même être produit pour des besoins et marchés spécifiques. Vinifiés selon des méthodes traditionnelles par des vignerons, les raisins font ensuite l'objet d'une désalcoolisation. Une méthode brevetée depuis 1908 (déjà !) permet, en effet, d'extraire l'alcool du vin à moins 30°C sans causer la moindre altération. Le vin ainsi désalcoolisé conserve - paraît-il - une haute qualité, autant que ses principes physiologiques. On peut être d’accord sur le principe tout en considérant, après dégustations, que ces produits sont, à ce jour, « loupés », une horreur. Au plan du goût, il y a encore du travail à faire. Ce qui prête moins à polémique, c’est que légalement, il n'existe pas de vin sans alcool. La dénomination descriptive exacte est : « boissons à base de vin désalcoolisé », ce qui n’est pas du tout la même chose.

 

Après plusieurs années de recherches, un produit nouveau vient d'apparaître sur le marché des boissons faiblement alcoolisées : le LIR. Il s'agit d'une boisson moins alcoolisée (6°) et moins calorique que le vin. La lirisation est le nom donné à l'ensemble des procédés qui permettent de produire le LIR. On l'élabore comme un vin, puis son taux d'alcool est réduit par un procédé physique dont une étape consiste à extraire une partie de l'alcool par tri moléculaire, ce qui permet de conserver une partie des caractères du vin. Plusieurs producteurs de vins, dont certains connus, commercialisent déjà le LIR. Sous peine d’infraction pénale, la mention « vin » ne peut s’utiliser pour désigner ce produit (en effet, un vin doit, selon sa zone de production, titrer 8,50° ou 9° minimum) qui se présente alors comme « boisson fermentée à base de raisins ». Le terme « boisson issue de vin partiellement désalcoolisé » ou « boisson issue de raisin » peuvent, sans doute, se concevoir.

 

Pour en savoir plus : Recette judiciaire, mais néanmoins savoureuse du coq au vin, dans « Droit et Gastronomie : aspect juridique de l’alimentation et des produits gourmands », 1999, Editions L.G.D.J.-Gualino, pages 69 à 86.

 

Jean-Paul Branlard

Intronisé par la Confrérie du Tastevin (Clos de Vougeot - Bourgogne)

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